« Grand poisson », « monstre marin », « Léviathan », « souffleur », « baleine du diable », « cheval-baleine », « cochon-baleine », voici quelques noms attribués à la baleine, en fonction de l’époque et de la civilisation qu’elle croise.
Marquant les mentalités tant par son apparence physique disproportionnée que par le monde marin auquel elle appartient, la baleine se retrouve dans de nombreuses histoires et légendes à commencer par la mythologie grecque.
Mythologie grecque
L’histoire d’Andromède (1) et de Persée ou celle d’Hésione (2) et d’Hercule en sont l’illustration même. Dans les deux cas, les jeunes princesses sont sauvées in extremis d’un monstre marin. Selon les versions, la souplesse des récits mythologiques admet d’infinies variantes à partir d’une même histoire, le monstre marin n’est autre qu’une baleine sanguinaire envoyée par le dieu Poséidon.
Les légendes islandaises ou irlandaises
Pour les Islandais ou Irlandais du Moyen Âge, la baleine engendre une peur incommensurable.
À l’origine de naufrages et de nombreuses disparitions en mer, elle est réputée pour être cruelle et friande de chair humaine. Rusée, elle se cache dans les profondeurs abyssales puis sans crier gare, remonte à la surface pour attaquer les navires. Les premiers Islandais racontaient des histoires de « baleine cheval » ou de « baleine à tête rouge » qui écumaient les mers en immenses hordes, détruisant tout sur leur passage. Dénommée « Baleine du diable », elle est donc la hantise des marins, au point qu’il est d’ailleurs formellement interdit de prononcer son nom en mer ! Ainsi donc, le nom « baleine » est tabou et tout marin qui viendrait à enfreindre cette règle se retrouverait automatiquement privé de nourriture.
Mais ce « grand poisson » possède d’autres feintes pour tromper ses proies. Dormant en surface, il laisse les marins monter sur son dos (prenant cette grosse masse sombre pour une île) puis à son réveil le monstre plonge, noyant les hommes dans son sillage.
Cela dit, de ces terribles légendes naissent aussi des miracles comme celui de Saint Brendan vers 565.
Abbé bénédictin Irlandais, parcourant l’océan atlantique à la recherche du jardin d’Eden, Saint Brendan débarque un jour sur une île noire qui n’est rien d’autre qu’une baleine. Là, il y installe tranquillement son autel et y célèbre la messe durant une grande partie de la journée. L’animal, placide, le laisse faire et remonter à bord de son navire avant de plonger !
La baleine vue comme un monstre ? ? ?… Pas toujours !
Les Inuits
Chez les Inuits, la baleine est la fille de Sedna (3), déesse de la mer. Des doigts de cette déesse sont nés les poissons ; de ses mains, les phoques, loutres et autres mammifères marins et de ses avant-bras, les baleines.
Vénérée des Inuits, la déesse Sedna offre aux hommes de quoi survivre dans un univers hostile. Par son intermédiaire, les baleines incarnent la vie.
Les Amérindiens
Pour les Amérindiens, la baleine symbolise la clairvoyance.
Elle est considérée comme l’origine du monde, le maître de la terre et des océans. Elle représente à la fois l’Archiviste, la bibliothèque de la Terre, la gardienne des secrets. C’est elle qui mène à la signification de la vie …
Autre exemple de symbolisme : celui que l’on retrouve en Extrême-Orient. En effet, la baleine y est vénérée pour tout ce qu’elle donne aux hommes. Elle est à la fois la sagesse, la tranquillité, la foi.
Le Viêt Nam
Au Vietnam, on lui a par tradition attribué un rôle psychopompe. Mystérieuse et vivant dans l’immensité bleue, elle était perçue comme un génie, un guide qui transportait les âmes des défunts sur son dos jusqu’au royaume des morts. Elle était « le passeur », celui qui fait le lien entre le monde des vivants et celui des morts ! (4)
Annexes
(1) Andromède : fille de Céphée, roi des Ethiopiens, et de Cassiopée. Cette dernière avait offensé les nymphes de l’océan, en disant que sa fille Andromaque leur était supérieure par sa beauté. Les Néréides se plaignirent auprès de Poseidon, le dieu marin, qui fou de rage, envoya un monstre marin dévaster le pays. Face à ce fléau, seul le sacrifice d’Andromède pouvait y mettre un terme. Aussi fut-elle attachée sur un rocher au bord de la mer et livrée en pâture au monstre.
C’est alors qu’intervient le jeune Persée qui transforme le monstre en pierre, en lui montrant la tête de la Gorgone. Vainqueur, il libère Andromaque et l’épouse…
cf. Dictionnaire de l’antiquité, M. Howatson, Université d’Oxford, Août 1994.
(2) Hésione : princesse troyenne, fille de Laomédon roi de Troie et de la nymphe Strymo.
Suite à un différent entre son père et le dieu Poseidon, elle fut offerte en sacrifice à un monstre marin venu ravager les côtes. Elle fut sauvée par Heraclès.
cf. Bibliothèque, Appolodore
(3) Sedna : L’histoire de Sedna fait partie des légendes les plus répandues chez les Inuits. Tout comme dans la mythologie grecque, cette légende possède de nombreuses versions. Voici en une parmi tant d’autres….
Sedna était une jeune fille dont la beauté n’avait d’égal que sa prétention. Passant le plus clair de son temps à se coiffer et à s’admirer, elle repoussait dédaigneusement tous les prétendants que son père lui présentait. A bout de patience, ce dernier lui déclara que le prochain chasseur qui viendrait lui demander sa main serait son futur époux ! Le lendemain même, un chaman se présenta et conformément à ses dires, le père lui donna Sedna.
Sitôt dit, sitôt fait, l’homme emmena la jeune fille sur son île. Malheureuse auprès de son époux, Sedna passait ses journées à pleurer. Elle pleurait si fort que son père qui l’entendait depuis le continent, fut pris de remords et décida d’aller la rechercher.
Profitant de l’absence du méchant chaman, il enleva sa fille mais à peine en mer une terrible tempête se leva sur l’océan.
Le kayak se mit aussitôt à tanguer dangereusement. Comprenant qu’il s’agissait là d’un effet de la colère du chaman, le père, prit de panique, jeta Sedna par-dessus bord.
Transie de froid et de peur, la jeune fille essaya désespérément de s’agripper au bord du kayak. Son père, affolé, se mit alors à lui taper sur les doigts gelés : ils se brisèrent nets et devinrent des poissons. Voyant que Sedna ne lâchait pas prise, l’homme continua à frapper : les mains se cassèrent et se transformèrent en mammifères marins. Paniquée, la jeune fille essaya de se hisser mais son père continua à la battre : les avant-bras se rompirent et se changèrent en baleines. À bout de force, Sedna finit par abandonner et se laissa glisser dans les eaux glacées. Là, elle se transforma en sirène et devint la déesse de la mer.
(4) Marc Girard : Les Symboles dans la bible, ed. Cerf Bellarmin, 1991, page 752